La Liberté guidant le peuple
Cartel de l’œuvre:
Nature de l’œuvre : Huile sur toile (Grand Format)
Auteur/ Artiste : Eugène Delacroix (1798-1863)
Titre : La liberté guidant le peuple : Les journées des 27, 28 et 29 juillet 1830.
Date : 1830
Dimensions : 260 x 325 cm
Technique/matière : peinture à l’huile
Mouvement: Romantisme
Localisation : Musée du Louvre – Paris
Domaine artistique: Art du visuel
Thématiques :
- Arts, sociétés, cultures(un tableau qui représente un événement historique contemporain de l'auteur)
- Arts, États, pouvoir (un artiste qui exprime sa sympathie pour une révolution).
BIOGRAPHIE
Eugène Delacroix est un peintre français considéré comme un des principaux chef de file du mouvement Romantique.
Né le 26 avril 1798, Delacroix a très jeune été initié aux arts, qu'il s'agisse de peinture, de littérature ou de musique. En 1815, le jeune homme entre à l'atelier de Pierre-Narcisse Guérin, où il fait la connaissance de Théodore Géricault, qui l'influencera définitivement.
Le peintre se fait connaître avec un de ses premiers tableaux "La Barque de Dante", en 1822. Son style, qui privilégie la forme général du tableau et appuie les couleurs, tranche avec le néoclassicisme en vogue à l'époque et choque alors la critique. Ce sera aussi le cas de ses œuvres suivantes, notamment "Scène de massacres de Scio" (1824) et "La Mort de Sardanapale" (1827). Eugène Delacroix est notoirement connu pour don tableau "La Liberté guidant le peuple" (1830), devenu un symbole de la démocratie.
En 1832, le peintre entreprend un voyage au Maroc et en Algérie,. Il y accompagne le comte de Mornay, envoyé spécial de Louis-Philippe pour une mission diplomatique, auprès du sultan Moulay Abd el-Rahman. Sa visite de l'Afrique du nord lui fait redécouvrir ce qui est alors considéré comme "l'Orient". Il est un des premiers peintre à se rendre sur place, où il réalise de très nombreux croquis. En rentrant en France, il peint une de ses toiles les plus connues, "Femmes d'Alger dans leur appartement", tableau à la fois romantique et orientaliste.
Eugène Delacroix meurt en 1863. Il laisse derrière lui de nombreux tableaux, mais aussi des carnets de croquis - notamment ceux du Maroc - ainsi qu'un journal intime dans lequel il a consigné de nombreuses conversations et observations.
Le Contexte historique et social:
Le tableau est peint le 28 juillet 1830, à Paris, durant l'évènement historique des "Trois Glorieuses". Les "3 Glorieuses" sont les 3 jours d'insurrection des 27, 28 et 29 juillet 1830. Cette révolte armée est une réaction du peuple aux 4 ordonnances signées par Charles X le 25 juillet 1830 qui limitent les libertés: notamment, sa 1ère ordonnance, qui suspend la liberté de la presse et sa 3ème ordonnance qui réserve le droit de vote aux seuls riches propriétaires fonciers (souvent les partisans du roi), retirant ainsi le droit de vote aux commerçants et aux industriels. Il n'en faudra pas plus pour que l'émeute éclate. Les journalistes, directement touchés par la 1ère ordonnance, préparent la rébellion: depuis les bureaux du journal "Le National", ils rédigent une protestation dans laquelle ils refusent de reconnaître la dissolution des chambres des députés et l'autorité du gouvernement. Des attroupements se forment à la porte des bureaux et la révolte éclate. Partout des barricades sont dressées, le peuple se révolte, épaulé pour la 1ere fois par la haute bourgeoisie de la finance et de l'industrie, qui se bat pour pouvoir garder son influence politique. Bientôt Paris est aux mains des révolutionnaires. Charles X perd son trône et s'exile en Angleterre. La République est enfin à portée de main. Seulement, la haute bourgeoisie pense à son propre profit et préfère juste changer de roi... la Presse fait campagne pour le duc d'Orléans...l'espoir pour le peuple de proclamer la République est anéanti. Le duc d'Orléans devient Louis-Philippe 1er et fonde la Monarchie de Juillet, plus libérale, qui donne le pouvoir à la haute bourgeoisie française. Elle durera jusqu'en 1848.
Durant cette période de conflit politique, le monde de l'art connaît lui aussi des débats très animés entre les Néoclassiques (défendant la ligne pure du dessin et la référence à l'Antiquité dans les sujets) et les Romantiques, voulant avant tout exprimer avec sensibilité leurs sujets, par le choix de couleurs vives et de formes mouvementées. Peu à peu les formes néoclassiques vont se soumettre à l'expression du mouvement par la couleur.
Présentation de la toile:
"J'ai entrepris un sujet moderne, une barricade, et si je n'ai pas vaincu pour la patrie, au moins peindrai-je pour elle. Cela m'a remis de belle humeur " ( lettre d'Eugène du 28 octobre à son frère).
La scène illustre la seconde journée des "3 Glorieuses", le 28 juillet, jour durant lequel le drapeau tricolore sera hissé au sommet des tours de Notre Dame de Paris et sur l'Hôtel de Ville conquis par les insurgés.
Le tableau place la scène sur une des barricades typiques de cette journée révolutionnaire. Une jeune femme, brandissant le drapeau tricolore mène le peuple qui l'entoure vers la Liberté. A ses pieds gît un amoncellement de cadavres, les victimes de l'insurrection.
Cette toile fut exposée au Salon de 1831. Elle fut achetée par l'état pour le musée du Luxembourg. Jugée trop audacieuse par certains, elle resta cachée aux yeux du public pendant plusieurs années. Elle entra au Louvre en 1874.
Construction du tableau:
Le tableau est organisé selon une structure pyramidale, dont la base est formée par l'alignement des cadavres. Le drapeau est le sommet de cette pyramide.
LA LUMIÈRE:
La lumière vient de la gauche du tableau. Cette lumière transversale permet de dessiner énergiquement et durement les formes par de forts contrastes ombre/lumière.
Au centre, la femme est la zone la plus éclairée du tableau avec la couleur jaune de sa robe et la lumière latérale. Les modelés de son corps, notamment sa poitrine et les plis de son habit semblent réfléchir cette lumière, qui vient se refléter dans la chemise blanche du gisant en bas à gauche. Derrière elle, des nuages illuminés par un probable soleil couchant, créé un halo, une "auréole céleste" autour de son profil et du drapeau qu'elle brandit.
En bas du tableau, les couleurs sont beaucoup plus sombres, en accord avec le thème morbide.
Dans l'ensemble du tableau, la palette de couleurs utilisées est homogène: un camaïeu (une seule couleur utilisées dans différentes tonalités plus ou moins claires) de bruns et de beige où seuls les couleurs plus franches bleu/blanc/rouge apparaissent à maintes reprises dans la toile, comme un leitmotiv : drapeau, foulard et ceinture de l'homme au sabre à gauche, vêtement tricolore de l'homme agenouillé, costume du gisant à droite, le ciel, bleu et blanc avec une touche de rouge dans le blanc...
Les personnages du tableau:
3 niveaux superposés sont visibles dans cette toile:
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Le 1er niveau, en bas de la toile, est celui des morts.
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Le 2nd niveau est celui des combattants et des blessées, il est le lien entre la vie et la mort
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Le 3ème niveau, en haut du tableau, est celui de la vie et de la Liberté.
Delacroix réunit sur sa toile différents personnages hommes, femme et enfants issus de différentes catégories sociales. Ils sont positionnés en différents plans:
Le 1er plan présente un amoncellement de corps de victimes et de blessés. A gauche, le corps dépouillé de son pantalon, les bras étendus et la tunique retroussée, rappelle par sa posture un sujet antique et académique: Hector, héros d'Homère. On peut également deviner dans l'exécution de ce personnage l'influence du peintre Géricault, que Delacroix a rencontré plus tôt, lors de sa formation dans l'atelier Guérin. Nous retrouvons en effet ce "même" cadavre en chemise retroussée dans "le radeau de la Méduse" peint en 1819 par Géricault et dans lequel Delacroix posa.
A droite de la toile, on identifie deux soldats de Charles X: un officier de la gendarmerie royale reconnaissable à sa longue veste bleue aux épaulettes blanches et un carabinier de la garde royale reconnaissable à sa cuirasse , à sa veste bleu foncé et à son shako (chapeau haut de forme).
Au 2eme plan, une fille du peuple, en partie dévêtue est coiffée du bonnet phrygien (symbole de la liberté: chez les Grecs et les Romains, le bonnet phrygien était celui des esclaves affranchis. D’où le lien symbolique avec la liberté. Il fut adopté lors de la Révolution de 1789 par les sans-culottes comme un symbole d'affranchissement et d'égalité, et qui reste le symbole de la République). Elle brandit le drapeau tricolore. Fougueuse, révoltée et victorieuse, elle incarne la Liberté guidant le peuple et rappelle la Révolution de 1789 ainsi que la souveraineté du peuple.
Figure centrale du tableau, elle est représentée "en pied" (en entier, de la tête aux pieds) au centre de la toile et éclairée de toute part. Son corps drapé et en partie dénudé ainsi que son profil grec rappellent les divinités de l'Antiquité. En la représentant Armée d'une baïonnette modèle 1816 et le bras levé laissant voir la pilosité de son aisselle, Delacroix rend son allégorie bien réelle: il la représente en simple fille du peuple ancrée dans l'actualité de la révolte des 3 glorieuses. Avant le tableau de Delacroix, l'allégorie de la Liberté luttant contre ses ennemis était attribuée au tableau d'Antoine-Jean Gros "Bonaparte au pont d'Arcole", 1796.
A sa gauche, un gamin, un pistolet dans chaque main et coiffé de la faluche (béret en velours noir des étudiants de Paris), porte en bandoulière la giberne d'un soldat de Charles X. Il avance de face, le pied droit en avant, la bouche ouverte, criant à l'assaut. C'est le futur "Gavroche" de Victor Hugo décrit dans "Les Misérables" une trentaine d'année plus tard.
Aux pieds de la Liberté, un homme à terre se redresse. il a un ruban rouge noué sur la tête. Sa chemise bleue évoque son statut d'ouvrier temporaire. L'ensemble de ses vêtements porte les couleurs du drapeau (chemise bleue, sous-chemise blanche, ceinture et foulard rouge). Rappelons que la Monarchie de Juillet marque le retour du drapeau tricolore mis en place en 1789 et disparu durant la Restauration au profit du drapeau blanc.
Au 3eme plan, se trouvent les insurgés, brandissant leurs armes en plein assaut; ouvrier, artisan, bourgeois, gamin des rues représentent les différentes classes sociales du peuple se battant aux côtés de la Liberté. L'homme au chapeau haut de forme et à la ceinture rouge est surement un bourgeois (peut-être un autoportrait de Delacroix??), il est armé d'un fusil de chasse.
Juste derrière lui se tient un ouvrier, sûrement un forgeron ou lamineur, reconnaissable à son pantalon à pont (pantalon à double ouverture à boutons sur le devant) et à son tablier. Il tient un sabre de l'infanterie napoléonienne nommé "briquet". Il est coiffé d'un béret et porte à sa ceinture un pistolet et un foulard rouge et bleu, rayé de blanc, rappel du drapeau tricolore.
A ses pieds, un adolescent, qui agrippe un pavé, porte le bonnet du voltigeur (nom donné à un soldat ou fantassin de première ligne, fin tireur, porté en croupe par un cavalier) de la garde nationale, hostile à Charles X.
A l'arrière plan, sur la gauche, on aperçoit un étudiant de polytechnique reconnaissable à son bicorne bonapartiste et à l'extrême droite, au bas des immeubles, on devine un détachement de grenadiers.
L'arrière plan permet de situer l'évènement à Paris, grâce à la représentation des tours de Notre Dame en haut desquelles flotte le drapeau tricolore.
Analyse:
Achevé en décembre, le tableau est exposé au Salon de mai 1831. Il semble né d’un seul élan.
Le tableau représente l’assaut final. La foule converge vers le spectateur, dans un nuage de poussière, brandissant des armes. Elle franchit les barricades et éclate dans le camp adverse. A sa tête, quatre personnages debout, au centre une femme. Déesse mythique, elle les mène à la Liberté. A leurs pieds gisent des soldats. Delacroix écrit à Charles Verninac son neveu :
" Trois jours au milieu de la mitraille et les coups de fusil ; car on se battait partout. Le simple promeneur comme moi avait la chance d'attraper une balle ni plus ni moins que les héros improvisés qui marchaient à l'ennemi avec des morceaux de fer, emmanchés dans des manches à balai ".
Une peinture d'Histoire:
Ce tableau est un témoin historique et politique des Trois Glorieuses. Les journées du soulèvement populaire contre Charles X, les 27, 28 et 29 juillet 1830, ont également inspiré à l'époque d'autres œuvres témoins de cet épisode historique, notamment celles peintes par Hippolyte Lecomte, Horace Vernet ou Jean-Victor Schnetz:
Delacroix témoigne du dernier sursaut de l'Ancien Régime, en combinant détails réalistes et symboles, actualité et fiction, réalité et allégorie.
Massacre de Scio, 1824
Le peintre est apprécié par Charles X, qui lui a acheté "les massacres de Scio", et il est ami avec la duchesse de Berry et la famille Orléans. Pourtant, Delacroix prend ici parti pour le peuple qui se soulève pour obtenir sa liberté et son indépendance. Même s'il n'a pas participé aux combats, le peintre a été ému par le sacrifice des hommes et des femmes lors des Trois Glorieuses. Passionné de liberté, Delacroix exprime avec saisissement et sentiment la gloire du peuple citoyen "noble, beau et grand".
Au sujet de son œuvre, le peintre a écrit:
"Si je n'ai pas vaincu pour la patrie, au moins peindrai-je pour elle."
Devançant "Guernica" de Picasso, "la Liberté guidant le peuple" est une œuvre historique et révolutionnaire issue du genre majeur de la peinture du 18ème siècle, celui de la peinture d'Histoire.
Une œuvre romantique:
Ce tableau représente la Liberté comme une valeur à conquérir par le peuple, les armes à la main, en sacrifiant sa vie s'il le faut. C'est un sujet dramatique digne du théâtre Shakespearien, illustrant l'un des slogans révolutionnaires de l'époque: La liberté ou la mort.
La femme représente le combat du peuple pour la liberté, c'est une allégorie (une idée représentée par une personne) de la liberté. En faisant "descendre dans la rue" son allégorie, Delacroix bouleverse la façon de représenter le sens de l'Histoire. En l'ancrant dans la dure réalité de la bataille, il rend son symbole vivant et proche du spectateur. Sa fusion inédite du réel et de l'idéal, propose une vision nouvelle et émouvante de l'Histoire. C'est la caractéristique du courant romantique. Tout comme Shakespeare ou Goethe dans leurs œuvres, Delacroix veut faire ressentir des émotions fortes , plus proche de la vraie vie. On retrouve d'ailleurs des éléments communs à la tragédie classique: le sang, les épées, la nudité antique mélangés à des détails ordinaires de l'époque tels qu'un fusil de chasse, un bas retroussé, un tablier. Les brigands y côtoient des héros, le peuple y côtoie une divinité dans une contradiction voulue. Les genres se mélangent entre comédie et tragédie. En France, Victor Hugo est le théoricien de ce genre nouveau genre de théâtre qu'est le théâtre romantique. Delacroix, tout comme l'écrivain, s'exprime avec une grande liberté, au risque de choquer les classiques.