"PERSONNES"
Christian BOLTANSKI
Installation in situ éphémère pour Monumenta (Paris Grand-Palais, 2010)
Surface totale : env. 13500 m2, hauteur : 37 m
50 tonnes de vêtements d’occasion dont 64 m2 de vêtements posés part terre.
Sur 3 rangées de 23 = 69 rectangles de 5x8m
, grappin robotisé installé, Poteaux métalliques et éclairage néon, Boites métalliques,
dispositif sonore.
Né le 6 septembre 1944 (Paris-Malakoff) à la fin de la Seconde Guerre mondiale dans une famille juive, il est resté marqué par le souvenir de l'Holocauste / la Shoah. Ses thèmes récurrents sont ainsi devenus la mémoire, l’inconscient, l’enfance et la mort.
Une des particularités de BOLTANSKI est sa capacité à reconstituer des instants de vie avec des objets qui ne lui ont jamais appartenu mais qu'il expose pourtant comme tels. Il raconte une vie qu’il prétend avoir vécu et tous les objets de ses dossiers, livres, collections et autres sont les dépositaires d’un souvenir auquel se rattache un pouvoir émotionnel fort, permettant à chaque individu de s’y reconnaître. BOLTANSKI utilise une multitude de matériaux, que ce soit de la photographie, des objets trouvés, du carton ondulé, de la pâte à modeler, des luminaires, des bougies.
Ces objets, matériaux et images sont mis en scène non seulement dans l’espace mais également dans le temps, puisque chaque objet nous remémore un passé réel ou fictif, collectif ou personnel. Ainsi les œuvres de Boltanski sont basées sur le souvenir et font appel à lui, du souvenir d’enfance au souvenir des défunts, et d’une histoire personnelle à l’histoire commune de toutes et de tous.
Boltanski à Monumenta 2010.
C’est à l’occasion de Monumenta 2010, dans la nef du Grand Palais, que Boltanski met en place l’installation « Personnes ».
- Le titre de l’exposition est déjà rien qu’à lui seul très évocateur de l’œuvre de Boltanski. « Personnes, avec un « s », renvoie à la multitude, et en même temps ce que l’on entend, c’est personne, sans « s » c’est-à-dire l’homme sans nom, ou la négation de l’homme. » dira Catherine Grenier commissaire de Monumenta 2010.
Boltanski nous met face au mur…
En entrant dans la nef, un grand et haut mur de boîtes nous fait face, faisant obstacle à l’installation comme si nous étions devant l’œuvre.
Ce mur, de 42 m de long et de 3,9 m de haut, est constitué de boîtes de biscuits rouillées et est surmonté de petites lampes.
Chaque boîte comporte un numéro. L’obsession du nombre dans l’œuvre de Boltanski est au service d’une réflexion sur l’individu et la masse :
- Comment l’unique résiste au nombre ?
- Comment notre individualité survit au collectif ?
« Je suis infiniment conscient de l’unicité de chacun comme de sa fragilité » (C. Boltanski). Mais ceci peut également illustrer la mort des individus si l’on considère ces boîtes comme des urnes funéraires.
Les boîtes : objets de rangement peuvent aussi permettre de classer, enfermer, conserver, cacher. Elles sont souvent présentes dans l’œuvre de l’artiste comme dans "Autel du Lycée de Chases, 1988" La collection de boîtes est souvent présente dans l’œuvre de Boltanski, il collectionne les objets de son enfance allant même jusqu’à les fabriquer en pâte à modeler pour ensuite les placer dans des boîtes et les stocker.
La rouille des boîtes peut faire penser à quelque chose de passé, d’ancien. De multitudes interprétations sont possibles. Boltanski pose des questions à travers son œuvre sans y répondre.
Est-ce que ce mur est une représentation mémorial de la Shoah ou plus universellement la mort qui touche tous les Hommes ?
La lumière: est-elle une lueur d’espoir, la continuité de la vie après la mort ou l’envie de ne pas oublier ? Ce mur semble être l’entrée d’un monde de questionnements.
Cependant le bruit hypnotique de centaines de cœurs battant désunis, le grincement métallique d’une grue et le froid glacial du lieu nous heurtent dès l’entrée de l’installation.
La volonté de Boltanski est de nous faire ressentir des émotions, ici le malaise semble être celui souhaité. « Cette installation est conçue pour produire un puissant sentiment d’oppression »
Ces enregistrements de cœur sont issus d’un projet qu’il développe depuis 2005 : constituer une archive de tous les cœurs du monde qu’il enregistre, étiquette, archive. Ces Archives du cœur seront installées sur l’île de Teshima, proche de l'ile de Naoshima dans une mer intérieure du Japon, en 2010. Ainsi les battements de cœur illustrent la vie et la volonté d’affronter la mort certaine mais aussi le souvenir, la mémoire de l’homme qui a vécu ou va disparaître. C’est à partir des années 1980, après le décès de ses parents et la prise de conscience son propre vieillissement, qu’il se tourne vers des œuvres plus sombres et théâtrales où la mort tient le premier rôle.
Et derrière le mur : toujours personne.
Puis le mur passé nous entrons dans l’œuvre. «Ce qui m’intéresse principalement aujourd’hui c’est que le spectateur ne soit plus placé devant une œuvre, mais qu’il pénètre à l’intérieur de l’œuvre ». On se retrouve fasse à 64 m2 de vêtements posés part terre. On pressent un cimetière, un camp de réfugié, un camp d’extermination.
Trois rangées de 23 rectangles de 5x8m de vêtements à plats au sol s’y trouvent. Chaque compartiment comporte quatre poteaux de fer maintenant à une hauteur de 2m un néon donnant ainsi une impression de réduction du plafond de la nef du Grand Palais.
Des enceintes sont accrochées au niveau des poteaux faisant résonner des battements de cœurs différents. D’autres battements de cœur peuvent se faire entendre tout autour de l’installation grâce à d’imposantes enceintes placées tout le long de la passerelle.
Ainsi les vêtements au sol de la nef symbolisent les Hommes, ils semblent ordonnés, on distingue chaque vêtement, chaque couleur, l’homme est dans un groupe, mais reste toutefois discernable, il attend la mort, il vit.
En face de ce No Man’s land se trouve une montagne de vêtements. Au-dessus, une pince mécanique à une hauteur de 25m, attrape des vêtements et les relâche. Ceci illustre
« la main de Dieu », le hasard, la fatalité de la mort. « Pour moi, précise Boltanski, c’est le doigt de Dieu qui prend la vie, qui tape au Hasard… C’est très lié à Dante et aux cercles de l‘enfer. »
Dans ces 24 tonnes de tissus entassés, accumulés, l’homme n’est plus qu’une masse un groupe, l’unicité de l’individu a disparu...
Tout le monde meurt un jour, la mort prend au hasard. Comme dans son exposition au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, en 1998, où il expose sous l’intitulé « Menschlich» (humain)
Christian Boltanski, Menschlich, 1994
Installation view at Kunstmuseum Wolfsburg, 50 x 60 cm or 60 x 50 cm, overall dimensions variable
Collection Kunstmuseum Wolfsburg © VG Bild-Kunst, Bonn 2013, Photo: Marek Kruszewski
(une installation murale faite de centaines de photos d’anonymes), dans Personnes l’idée de la fatalité de la mort et de l’anonymat sont présents.
L’art de Christian Boltanski semble bien se dresser comme un rempart contre l’oubli et la mort, cette installation en est la preuve.
Aujourd’hui après avoir été lauréat de plusieurs prix internationaux tel : le prix Kunstpreis Aachen en 1994, le prix du Praemium imperiale, sorte de Nobel des artistes en 2006, Prix Adenauer-De Gaulle en 2009, l’artiste, dont les œuvres figurent parmi les plus grandes collections du monde (Musée d’Art Moderne à New York, au Musée National d’Art Moderne du Centre Pompidou à Paris, en passant par la Tate Modern de Londres, ou encore la Haus der Kunst à Münich), est considéré comme l’un des artistes contemporains internationaux les plus reconnus. Christian Boltanski a même été choisi pour représenter la France à la Biennale de Venise 2011.