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Titre original: Triumph des Willens
Titre en Français: Le Triomphe de la volonté

Réalisation: Helene Amalia Bertha Riefenstahl dite: Leni Riefenstahl

Scénario: Leni Riefenstahl et Walter Ruttmann

Sociétés de production: Reichsparteitags film

Pays de production:  Allemagne Nazie

Durée: 114 minutes en Noire et Blanc

Sortie: 28/03/1935 à Berlin à l´UFA-Palast am Zoo (le plus grand cinéma allemand de l´époque)

 

- Le Triomphe de la volonté (en allemand : Triumph des Willens) est un film de propagande nazie tourné en noir et blanc par Leni Riefenstahl et sorti en 1935.

- Le film, qui décrit principalement le Congrès de Nuremberg du NSDAP

(Parti national-socialiste des travailleurs allemands), de 1934 tenu au Reichsparteitagsgelände, (littéralement en allemand : « terrain du congrès du parti du Reich ») est un gigantesque complexe architectural, situé au sud-est de la ville de Nuremberg,a été « commandé par le Führer » comme le générique l'indique.

 

Les citations / traductions (en italiques) et chapitres auxquels se réfère l´analyse suivante proviennent de l´édition DVD : Leni Riefenstahl´s Triumph of the Will, DD Video, 2001.

 

Cette édition, qui si elle ne présente qu´un montage de 104 mn (le film complet semble faire 114 mn, mais certaine éditions DVD annoncent 120 mn), a le mérite de présenter une très bonne qualité d´image, la bande-son d´époque, des sous-titres en Français et comporte un livret de 16 pages (en Anglais) tout à fait éclairant sur la production du film, en le resituant dans son contexte historique. À cela s´ajoutent en bonus des images d´archives britanniques d´époque sur les congrès de Nuremberg.


L´analyse de l’aspect formel de cette œuvre de propagande:
- La Vision nazie de l´Histoire à travers le cinéma documentaire du Troisième Reich,  de Christian Delage,

- L´Age d´Homme, Lausanne, 1989 , me parait le livre essentiel sur le sujet.

Il présente une grille de lecture stimulante pour toute production allemande non fictionnelle de cette période. C´est celle qui a été utilisée pour mener l´analyse suivante.

 

Tout d´abord, prenons en compte l´utilisation du langage cinématographique. Toute la grammaire cinématographique est utilisée lors des prises de vue :

Les angles de prise de vue :

l´utilisation quasi systématique de la contre-plongée n´est pas surprenante puisque cinématographiquement elle signifie classiquement la supériorité de l´objet qui est ainsi filmé. La rhétorique, champs « en contre plongée les chefs du partis » / contrechamps « en plongée la foule » est récurrente, et induit un rapport constant de domination.

 

Les plans en plongée ont aussi pour fonction d´accentuer le rôle de la foule, son importance numérique. À noter que peu de plans sont à hauteur d´homme, mais plutôt à hauteur de surhomme.

La réalisatrice place également ses caméras de manière à créer une ambiance quasi mythologique autour des chefs du parti.

 

Les échelles de plan :

la réalisatrices en utilise toute la gamme possible, et ne cantonne pas les différentes forces en présence à des plans déterminés de par leur identité ou « qualité », mais sait alterner l´attribution des échelles de plans. Ainsi la foule n´est pas seulement filmée en plan général, mais aussi en plan rapproché ou en gros plan.

On peut relever l´importance des gros plans (certainement hérité du cinéma de Sergueï Mikhaïlovitch Eisenstein 1898/1948 ) alternés avec des plans généraux et d´ensemble ce qui dynamise fortement la narration.

 

De même, ces portraits d´inconnus au lieu de désamorcer l´anonymat de la foule face aux chefs clairement identifiés le renforce, tant ces gros plans ne font que présenter des archétypes : là un enfant blond, ici une jeune paysanne, tous dans l´admiration du Führer.

 

Les cadrages / la composition du cadre,

là aussi sont variés. Ils alternent absence et grande profondeur de champ, avec démultiplication des plans. Toutefois, ce qui semble caractériser le cadre, c´est la saturation : un cadre rempli (par des éléments très variés : des soldats, la foule, des drapeaux, etc.) où il n´y a pas que peu d´espace vide (à ce titre la très faible place réservé au ciel, quand il n´est pas purement absent, et tout à fait représentative), et qui finalement fonctionne comme un système clos (voir la démultiplication des cadres dans le cadre, des fenêtres, des cadres coupants).

 

Autre approche plastique du cadre particulière, sa composition autour de lignes géométriques (verticales, horizontales) très fortes (constituées par les alignements des soldats, les décors, mais aussi par la croix gammée) qui dégagent non seulement une impression d´organisation implacable mais aussi de brutalité.

 

Le peuple embrigadé se transformant en un ensemble déshumanisé de blocs compacts juxtaposés, tous unis, tous égaux, ou comme l´écrit

Marc Ferro : « (…) les jeunes nazis sont disposés en carrés et en blocs-rectangles massifs de telle sorte qu´ils figurent l´image inversée de la République de Weimar : la force, l´unité, le rassemblement. » (Marc Ferro, Cinéma et Histoire, Nouvelle édition refondue, Folio Histoire, Gallimard, 1993.op.cité, p.119).

Les mouvements à l´intérieur du cadre:

(les défilés, les dignitaires faisant des discours, la foule en délire), mais aussi de la caméra (les travellings latéraux mais aussi verticaux, sont nombreux) dynamisent des situations largement statiques par définition (un public écoutant des discours ou regardant des défilés), d´autant plus que ces mouvements de caméra ne sont pas forcément subordonnés à des mouvements de personnes. Par conséquent, ils contribuent à donner une impression de liberté (par définition, beaucoup de ces mouvements de caméra sont libres), mais aussi de spontanéité (véritable souci de la réalisatrice).

 

Ces mouvements combinés donnent naissance à une « Allemagne en mouvement », même dans le cas des bâtiments filmés en de longs travellings (chapitre 3). Les étendards à croix gammées eux aussi deviennent animés.

 

La lumière :

là aussi variété des sources, et de la qualité de lumière utilisée. Il y a des scènes de jour, de nuit, l´utilisation d´éclairage naturel, artificiel, et même des feux d´artifice. Les effets de lumières (« Lichtdom ») mettent par ailleurs en valeur les symboles du parti : la croix gammée, l’aigle, les drapeaux. Ainsi la lumière remplit tout à fait son rôle d´organisation de l´espace en imposant (le terme n´est pas innocent) un certain type de lecture de cet espace. Finalement, la lumière en dramatisant ce qui est à l´écran devient une part intégrante de ce qui s´y passe et, lors des scènes de nuits (chapitres 6 et 9), en jouant sur les clairs obscurs elle devient un élément fondamental de la théâtralité de la grand messe nazie, lui conférant un aspect quasi mystique. Là aussi, lors des scènes nocturnes, la direction de la lumière est variée.

 

Si la lumière latérale, qui permet de sculpter les visages, est utilisée pour éclairer les orateurs, des contre-jours sont aussi utilisés, mais cette fois-ci pour le public, accentuant par le jeu des ombres ainsi créé, une impression d´anonymat (début du chapitre 6). Ensuite, le montage que Leni Riefenstahl a effectué elle-même est très rythmé et le film atteint le nombre imposant de 1155 plans. En ce sens, il s´inscrit dans une double tradition, celle d´un cinéma utilisant le montage (et la multiplication des plans) dans un but propagandiste (le cinéma soviétique), et celle d´un cinéma utilisant le montage comme mode d´expression purement esthétique (comme le cinéma d´avant-garde, auquel son collaborateur sur le film, Walter Ruttmann, participa activement, notamment avec son œuvre de référence Berlin : Die Sinfonie der Großstadt –Berlin : Symphonie d´une ville-,1927).

 

Le recours systématique à des plans de coupe lors des discours évite de tomber dans le travers du plan figé sur l´orateur, et donc diminue le risque d´ennui face à un spectacle peu varié. Les champs / contrechamps permettent de donner l´impression d´un dialogue permanent qui s´installe entre le pouvoir et la population, même si l´on ne voit à vrai dire jamais par les yeux d´Hitler mais par ceux du public (ce qui accentue l´identification pour le spectateur).

 

De même, il y a une gamme très variée de raccords d´un plan à l´autre : fondu enchaîné, ouverture / fermeture au noir… Ainsi les fondus enchaînés permettent des associations claires entre l´Allemagne d´hier (le toit de la cathédrale) et celle de l´ordre nouveau (le toit des tentes) (chapitre 3), où même permettent au Führer de se fondre dans son peuple laborieux en uniforme (chapitre 5)… « Hitler est l´Allemagne tout comme l´Allemagne est Hitler » dira plus tard Hess (chapitre 12).

 

- Par conséquent, la variété, la richesse du langage employé permet d´éviter la monotonie, la manifestation statique et répétitive propre à ce type d´évènement. Elle cherche à créer une dynamique visuelle en rupture avec la rigidité de la mise en scène des cérémonies, mais aussi d´un discours lui-même répétitif et surtout totalitaire.

 

Ensuite la bande son du film témoigne aussi d´une attention particulière. Tout d´abord, la musique, composée par Herbert Windt l´un des plus grands compositeurs allemands de musique de film de l´époque, se présente comme un pot pourri « germanique » renforçant l´aspect idéologique de l´ensemble, mélangeant des thèmes wagnériens (dont on connaît l´importance pour Hitler) tirés de l´approprié Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg, des musiques du folklore allemand, des marches militaires et des chants nazis tel l´hymne du parti, le Horst Wessel Lied.

 

On sait que Windt et Riefenstahl ont travaillé en étroite collaboration sur le film. De même, le mixage image / son, est fait avec réflexion, et si les discours ont été enregistrés lors du congrès, les applaudissements et autres effets sonores ont été recréés en studio. Pendant tout le film on relève des images ayant vocation d´illustration des propos tenus.

 

Enfin, un autre élément essentiel de l´accompagnement sonore du film est l´absence de commentaire. Cet élément qui servit à la réalisatrice pour défendre la supposée objectivité de son travail sur la base rhétorique fort spécieuse que « le commentaire c´est la propagande » permet de renforcer en fait l´essence profondément idéologique du film. En effet, comme le dit justement François Niney « (…) quand le Messie parle en personne, qui oserait gloser ? Quand le prophète est à la tribune, tout le monde se tait et écoute bouche bée ses prophéties qui ont le pouvoir magique de se réaliser d´elles-mêmes (…) » (in L´Epreuve du réel à l´écran, Essai sur le principe de réalité documentaire 2ème édition, p.81, De Boeck, Bruxelles, 2004).

 

- Enfin, le découpage (l´organisation du film) suit un plan logique, linéaire, tout à fait classique dans sa forme et donc largement compréhensible pour le public. Le film fonctionne sur une structure très commune : introduction (l´arrivée du Führer), développement (les différentes activités liées au rassemblement), et conclusion (discours de clôture). Ainsi on nous présente d´abord les lieux où vont se dérouler l´action (vues aériennes de Nuremberg) puis les personnages qui vont s´y inscrire (comme dans un film de fiction classique). De même l´alternance jour / nuit permet de suivre la chronologie du récit (tout en l´inscrivant dans un rapport naturel des choses).

 

Par conséquent, aucun aspect du langage cinématographique, audio ou visuel, n´est laissé de côté, et contribue à donner la sensation d´avoir affaire à un « film plein », voire même « trop plein », ce qui n´est peut être pas sans finalité idéologique. En effet, comme l´écrit Jérôme Bimbenet, « Saturation des yeux et saturation des oreilles empêchent toute réflexion, tout libre arbitre, toute liberté de l´esprit. Seul l´abrutissement compte. Cela pourrait bien être le totalitarisme des images, le pouvoir total dans le son et les images. Pouvoir suggestif total, image totale, son total, et même silence total lorsqu´il y en a puisqu´il est significatif et assourdissant. » (in « Le cinéma de propagande nazie (1930-1939) : un impact limité. » p. 149, in Une Histoire mondiale des cinémas de propagande, Sous la direction de Jean-Pierre Bertin-Maghit, Nouveau Monde éditions, 2008).

 

Il y a donc bien un énorme travail d´organisation, de sélection, de réorganisation des 61 heures de rush. Ce sont 5 mois de montage qui montrent que rien n´a été laissé au hasard, d´autant plus que le film rompt avec la chronologie réelle du congrès, ce qui témoigne d´une réflexion approfondie d´organisation du matériel filmé. Justement, c´est parce qu´il s´agit d´une œuvre artistique, de création que son auteur réfutait le fait qu’il puisse s´agir d´une œuvre de propagande… mais en pouvait-il être autrement de la part d´un film produit par le NSDAP-Reichspropaganda Abteilung ?

(1) Généralement il est dit que rien ne fut rajouté au moment du montage. Cependant, dans ses mémoires Albert Speer précise que la réalisatrice retourna les interventions des dignitaires nazis dont elle n´était pas satisfaite, et Marc Ferro dans son analyse de la scène « D´où viens-tu ? »  précise que la scène est jouée par des acteurs, lors des plans rapprochés (in Cinéma et Histoire, p.118, Nouvelle édition refondue, Folio Histoire, Gallimard, 1993).

(2) Malheureusement l´ouvrage de Glenn B. Infield, Leni Riefenstahl et le IIIe Reich. Cinéma et idéologie 1930-1946, Seuil, « Fiction & Cie », 1978, n´est plus disponible depuis longtemps.

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